Hommage à un ami disparu Daniel Caillé (1948-2023)

Daniel à l’AG de 2019 (1er au fond à gauche)

Consulter la page actualité et l’article que Daniel donna sur les conflits sociaux en Vendée de 1968 à 1980 en 2014.

             QUELQUES CONFLITS SOCIAUX EN VENDEE…DE  1968 A 1980

Il est banal de dire que l’histoire sociale de la Vendée serait moins « dynamique » que celle du département voisin, la Loire-Atlantique. Pas de grosses industries, une soumission culturelle à la loi divine du « chef » en seraient les principales causes. Il y en a d’autres sans doute.

Pourtant il y en eut, des conflits sociaux, dans cette contrée au tempérament conservateur.

Même si cela se fit avec retard Mai 68 eut aussi son heure dans le département. Guy Ruchaud (Parcours d’un militant – Geste Editions -) dit bien qu’il y eut en Vendée comme ailleurs, des prémisses. Quelques manifestations unitaires en 1966 et 1967. En novembre 1967 une grève eut lieu à l’usine ESSWEIN contre les cadences imposées sur les chaînes.

Un climat social tendu justifia donc la manifestation du 8 Mai 1968, 2000 personnes dans les rues de la Roche-sur-Yon. La contestation portait sur les salaires, les emplois, les droits syndicaux. Bien sûr, le patronat, lui, se complaisait dans un pouvoir qu’il ne voulait en aucun cas partager.

La grève plus ou moins générale s’étendit vite jusque dans les plus petites localités. Esswein à La Roche, les cheminots de la gare, les postiers, les enseignants mais aussi Defontaine à la Bruffière, les meubles Gautier au Boupère, Monte-Vite à St Laurent sur Sèvre, avec plus de difficulté Big Chief à la Roche…

Mais après le grand chambardement de Mai le souffle de la recherche d’un autre monde perdurera-t-il dans le peuple laborieux de Vendée ?

Nous constaterons d’abord que c’est dans ces moments-là qu’un groupe de jeunes agriculteurs entre en conflit avec la FDSEA, avec entre autres objectifs, d’entrer en relation plus étroite avec les ouvriers, et de soutenir activement leurs luttes. Ils deviendront plus tard les Paysans-Travailleurs. Un ouvrage étant en préparation sur le sujet, nous ne nous y attarderons donc pas, bien que nous les croiserons souvent ces paysans d’un genre nouveau dans les différentes luttes décrites.

En extrapolant un peu nous pourrons rechercher dans quelques conflits vendéens qui se sont déroulés dans les années 1968-1980 quelles idées de Mai 68 ont pu influencer, consciemment ou non, implicitement ou non, les luttes qui éclataient ici et là dans le département.

La justice sociale, les salariés du service comptabilité de la maison de l’agriculture avaient-t-ils cela en tête lorsqu’ils fondèrent dès qu’ils le purent une section syndicale d’entreprise ? (Acquis des accords de Grenelle – Loi du 27 Décembre 1968). Ils dressent un cahier de revendications, réclament des formations, la reconnaissance de leur qualification, dénoncent les écarts de salaire. Leur patron, en l’occurrence la FDSEA, ne voit pas cela d’un bon œil et licencie le délégué syndical. Ceci se passe en 1971. La maison de l’agriculture est alors occupée, les grévistes sont déterminés, le délégué syndical est réintégré.

Il est bien question d’équité aussi lorsque le 12 Mars 1971 le personnel, sauf les cadres, de la coopérative agricole CAVAC décide une grève illimitée. Elle durera trois semaines. 3000 affiches vont faire connaître dans tout le département leur revendication : « Non aux salaires de misère – Non aux écarts scandaleux. ». Ilsréclament aussi une augmentation de salaire, uniforme pour tous, revendication typique de l’époque. Après bien des vicissitudes, la victoire viendra au bout du 19em jour de grève. Les bas salaires seront relevés.

Ces agitations de classe vont avoir des conséquences.

Par exemple les dirigeants de la FDSEA ne pardonneront jamais à leurs salariés du service comptabilité cité plus haut d’avoir soutenu la grève de la CAVAC. Cinq salariés de ce service sont licenciés avec de faux prétextes.

Ces instants de lutte ont été émaillés d’un climat de tension extrême, répression, « terrorisme » – un petit « pain » de plastic abîma le mur du standard de la maison de l’agriculture – Menaces violentes – « séquestration » du directeur de la CAVAC.

Non vraiment la recherche de plus de justice sociale n’est pas un long fleuve tranquille.

La lutte contre l’exploiteur, ce pourrait être le thème de la lutte qui s’ouvre en 1974 à la fabrique de meubles BONNET à St Philbert-de-Bouaine. 450 employés. Six frères se partagent la direction de l’usine. C’est un petit patronat local, arrogant, imbu de lui-même. Il exploite une main d’œuvre locale corvéable à merci. Mais voilà t’y pas qu’un jour le prolétariat se rebelle.

Les revendications sont classiques, salaires, reconnaissance des travailleurs, droit syndical, garantie de salaire en cas de maladie…

15 jours de grève, de l’intimidation patronale- on fonça sur le piquet de grève avec une voiture : un ouvrier blessé. Pourtant même s’il y eut la complicité des pouvoirs publics, rien n’abattit le moral des ouvriers. Une totale cohésion entre eux, deux manifs et le soutien actif des syndicats ouvriers et des Paysans –Travailleurs, fit que des négociations eurent lieu.

La découverte de la lutte des classes et la solidarité de classe pourraient être à rechercher dans le conflit CHAUDIÈRE (ameublement) à Treize-Septiers.

Le blocage des négociations salariales, c’est le déclencheur d’une grève à compter du 30 août 1979. La direction reste campée sur ses positions, elle fera même intervenir les forces de l’ordre.

Pour l’heure les ouvriers ont pu constater que les patrons des fabriques de meubles des alentours étaient inquiets : risque de contagion dans les autres usines. Ils sont alors soutenus par le CNPF local (MEDEF de l’époque).

Pour eux-mêmes, les travailleurs ont pu apprécier le soutien des autres usines d’ameublement.

Nous pourrions penser que le conflit qui a débuté le 13 septembre 1974 à l’hypermarché COOP du Rond-Point de la Roche-sur-Yon serait la naissance d’une première coordination entre employés de distribution, producteurs, consommateurs. Une forme nouvelle de lutte donc.

Le personnel entre en lutte pour 28 jours. Revendications : augmentation de salaire, refus de la revalorisation du salaire au pourcentage, octroi d’une prime de transport, refus de financer le comité d’entreprise sur le salaire.

Le 21 septembre un comité de soutien réunissant le PSU, la MRJC, le CMRV, L’APF, Le CMR, Vie Nouvelle et les Paysans – Travailleurs se donne comme objectif de répondre à tout moment aux besoins des grévistes. (Collecte, collages d’affiche, prise en charge des pertes de salaire.)

Dans les mêmes temps les grévistes de la COOP décident de rouvrir la cafétéria pour leur propre compte. (Influence de LIP – Besançon, PIL, Cerizay).

Les paysans -Travailleurs alimentent les grévistes en « matières premières » (pommes de terre, mogettes, vin et surtout la viande prélevée lors des « saisies » de la journée régionale d’action des Paysans- Travailleurs.)

Le conflit trouva sa résolution le 11 Octobre 1974 avec comme résultat une augmentation de salaire substantielle, une prime de bilan, une prime de transport, le versement intégral du salaire en cas de maladie.

Les patrons ce cette « coopérative » ont cédé devant la détermination des travailleurs de l’entreprise et du mouvement de soutien qui s’amplifiait de jour en jour.

La découverte de la répression policière aura lieu lors du conflit des garages.

Depuis le 12 Mai 1975 quatre garages de la Roche-sur-Yon sont en grève, représentant une cinquantaine de mécaniciens automobiles. Il s’agissait là aussi de respecter la liberté syndicale et d’ouvrir des négociations salariales.

Comme à la COOP, un air d’autogestion… une des formes d’action des mécaniciens du garage « Citroën » était de réparer gratuitement les automobiles.

La réponse des patrons est sans ambiguïté : des CRS expulsent les ouvriers qui occupaient le garage. C’était la première fois qu’en Vendée était montée une telle opération de police contre les travailleurs en lutte.

Les luttes contre la désertification rurale et les luttes féministes, auraient-elles inspiré les salariées de l’usine de confection SCC de la Châtaigneraie ? En tout cas elles se mettent en grève et occupent leur entreprise pour cinq semaines. Les revendications sont l’emploi et les conditions de travail.

Le 30 Janvier 1976, 17 licenciements sont annoncés sur une liste, les 17 n’ont pas reçu de lettre de licenciement, mais elles se voient quand même illégalement empêchées de rejoindre leur poste de travail. Conséquence : une dégradation des conditions de travail car le patron a pour objectif de faire le même rendement avec celles qu’il garde ; en même temps il envisage de mettre d’autres femmes à la porte.

Traitées comme des bêtes de somme, les femmes ont pris conscience qu’elles ne voulaient plus être considérées comme des esclaves, manipulables à merci.

De plus, on soupçonnait un objectif plus sournois de fermeture de l’usine dans une région qui manquait déjà d’emploi. Les ouvrières se sont alors fâchées. Un grand meeting était organisé le Mardi 9 Mars 1976 avec le soutien de la CGT, la CFDT, le SNI, Le SNES, la JOC, l’ACO, Le PS, PSU, PCF, SGEN et les Paysans- Travailleurs.

L’autoritarisme comme moyen de gestion : ce sont les foyers des jeunes travailleurs de la Roche-sur-Yon qui en ont eu l’apanage en 1978.

Le directeur applique une politique orientée vers la seule rentabilité économique des foyers. Ceux qui en écopent les conséquences de tous les jours ce sont bien les employés. Ils ne comptent plus les brimades du directeur. Il s’y ajoute aussi une répression syndicale caractérisée.

La goutte d’eau qui fait déborder le vase ce sont les licenciements injustifiés de deux collaborateurs. En réponse, les personnels des foyers se sont mis en grève le 19 Mars 1978.

Juste un mot sur l’unité ouvriers – paysans qui trouva, en Vendée, sa meilleure expression le 07 Février 1975.

Ce jour-là, en meeting, 1400 ouvriers et paysans manifestaient leur mécontentement devant le Crédit Agricole de Challans. Cela à l’appel d’un comité de défense des éleveurs et ouvriers de la SICA – SAVA.

Les sections syndicales CGT et CFDT, d’abord méfiantes à l’égard des paysans du comité, s’y sont ralliées devant le souhait unanime des ouvriers réunis en assemblée générale.

Un conflit s’était fait jour depuis le début de l’année 1975, où étaient mêlés ladite coopérative, un patron d’une usine agroalimentaire du bocage et la banque citée plus haut.

Ce qui nous amène à la lutte contre le pouvoir des banques : ce sont les salariés du Crédit Agricole eux-mêmes qui l’ont menée.

Le 8 mai 1980, ils se mettent en grève pour une plus juste répartition de leur salaire : ils percevaient en effet 2/3 de salaire fixe et 1/3 de salaire en fonction de la production de l’agence. C’est-à-dire qu’il fallait vendre au maximum, faire du profit, d’où contrainte de rendement et flicage permanent.

Le mode d’action des grévistes fut centré sur l’occupation de la salle des ordinateurs. Ils y furent délogés dans la nuit du 18 au 19 mai par les CRS.

Les employés reprennent le travail après quinze jours de grève en espérant une négociation. Mais la direction refuse de négocier, menace de licencier huit salariés.  Après une manifestation massive, ces licenciements se transforment en rétrogradation entraînant des pertes de salaires.

À l’époque, les protagonistes considéraient quand même qu’il s’agissait d’une étape contre le pouvoir bancaire.

Une Vendée rouge ? Une Vendée rose ?

On tergiversera, on débattra bien sûr, on n’ira peut-être pas jusque-là diront certains. Mais on constatera qu’à cette époque, la Vendée n’était pas si amorphe que cela, socialement parlant.

Et puis, bon an mal an, bon gré mal gré, les frontières de la Vendée semblent bien avoir été perméables aux idées de Mai 68.

DANIEL CAILLÉ